Le monsieur de la bibliothèque
Il est tard et je rapporte à la bibliothèque de ma ville les 10 livres 📚 que j'emprunte chaque deux semaines pour mes minis pleins de microbes. Des BD, des albums sur les guerriers, tout Élise Gravel, des trucs de filles.
Les livres sont tellement en retard que je me retrouve prise à faire un chèque au commis. Avec ma face de prof fatiguée et mon rhume "renouvelable" qui dure depuis trois semaines, c'est chic.
Le monsieur s'inquiète:
- Mais pourquoi autant de livres jeunesse sur une carte adulte? - Parce que j'enseigne. - Vous n'avez pas d'enfants? - J'en ai 80 à l'école. Ça compte? - Non, pas pour avoir une carte enfant. C'est juste que ça vous ferait moins cher d'amende.
Il a raison, mais je ne réponds pas. Ma fatigue et le chèque à compléter ne font pas bon ménage. J'essaie d'en rire:
- On ne fait plus ça souvent, des chèques, hein? Le monsieur sourit.
Mon sourire à moi est figé. Je me confie:
- Je ne sais plus écrire "dollar".
Il doit croire que je blague, car il poursuit:
- Vous pourriez avoir une carte de classe. Vous enseignez à Cowansville? - Non. -Ah.
Je fixe toujours mon chèque. Il saisit que je ne blaguais pas avec mon dollar. Sa voix est plus douce:
- Vous n'avez pas à écrire dollar. Juste le chiffre, mais en lettres.
C'est beaucoup pour mon cerveau. Déjà que j'ai compté les mois avec mes doigts sur le comptoir pour arriver au raisonnement erroné voulant que novembre est le dixième, c'est lourd. Je recommence le chèque, lui remets le bon en oubliant de le signer, pars choisir d'autres livres, reviens.
- Vous avez droit à 10 livres. - Je sais, mais je n'en veux que 9. - C'est que vous en avez choisi 12.
J'ai envie de m'étendre devant le comptoir. J'ai chaud. Ça y est. Je vais avoir la gastro. Il a désormais pitié:
- Je vais parler à la responsable pour vous faire une carte spéciale, voulez-vous?
Je hoche la tête. Il me tend la facture:
- Tenez, vous pourrez demander à l'école de vous rembourser?
Je souris. Il est gentil, ce monsieur. Drôle, mais gentil.