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Araignée du matin, chagrin

2017, jour 1.

6h30 : Je quitte la maison en oubliant mes mitaines pour la cour de récré et ma clochette pour le silence. La journée se déroulera sous le signe de la survie.

7h55: Les petits de première année entrent avec tout ce qu'ils ont à raconter. Un condensé de petites choses qui font beaucoup de bruit dans le corridor de l'école. Je revis 16 Noël en express et en simultané. J'en oublie presque que je dois faire respecter le silence dans le couloir.

7h57: Ma mini-moi de première année me fait signe devant son casier. Elle observe une araignée minuscule qui tente tant bien que mal de se tisser une vie entre deux planches de bois.On est là, accroupies, à regarder se mouvoir cette petite bête dans son habitat de bois lorsque ma mini-moi se confie:

- Je ne veux pas que l'araignée entre dans mon sac.

Je vois venir le drame. J'aimerais vraiment qu'on laisse là ladite araignée, mais je sens que mon combat est perdu d'avance.

- Les araignées n'aiment pas les sacs. Regarde, elle travaille fort pour faire sa toile. Elle n'a pas le temps de se promener:

La petite secoue la tête avec ses lèvres pincées:

- Je veux que tu l'enlèves, Mme Marie-Andrée.

Les enfants sont tout partout dans le couloir et la classe pendant que j'essaie d'enlever l'araignée du casier sans la tuer sous le regard attentif de ma mini-moi.

Du cadre de sa porte, ma collègue de première année assiste à la scène:

- Besoin d'aide, Mme Marie-Andrée?

Je me retourne, soupire un peu en réalisant que je suis (encore) à quatre pattes et que je dois déjà avoir l'air fatiguée:

- J'essaie de sortir l'araignée du casier sans la tuer.

Ma collègue réprime un sourire. Tout son non-verbal semble me rappeler qu'il faut choisir ses combats et je pense à mes minis qui défont leur sac dans la classe pendant que j'effleure du doigt une araignée à sauver.

Elle tente de m'aider:

- On pourrait déposer l'araignée dehors, Mme Marie-Andrée.

Je tasse mes cheveux de mon visage, la regarde de nouveau:

- Dans le froid de l'hiver?

C'est à son tour de soupirer. Trois secondes de plus et elle m'abandonne là en me souhaitant bonne chance.

- Oui, dans le froid de l'hiver pour qu'elle s'endorme jusqu'au printemps.

Ma mini-moi est toujours là. On se regarde toutes les trois, mais elle est la seule à croire au sommeil hivernal de l'araignée et à ignorer l'affreux destin qui attend la pauvre bête.

Je me relève, m'adresse à la petite :

- Va voir dans la classe si les amis font bien leur routine, d'accord?

- Et l'araignée?

- Je m'en occupe.

Elle disparait dans la classe alors que je ravale difficilement mon mensonge blanc.

Ma collègue est fière de moi. Elle referme sa porte pendant que je replace l'ensemble salopettes-manteau-foulard-tuque-mitaines-boite-à-lunch-sac-d'école-sac-d'éducation-physique dans le petit casier.

Il faut choisir ses batailles ; je laisse l'araignée poursuivre sa journée.

11h20: L'araignée ne se montre pas le bout du nez et ma mini-moi part manger.

Non loin de là, ma petite fée se bat avec son propre ensemble salopettes-manteau-foulard-tuque-mitaines-boite-à-lunch. Elle marche dans le couloir sans voir devant tant elle a empilé le tout en une immense montagne couvrant son visage. Ça ne va pas.

Je l'interpelle:

- Il y a quelqu'un?

Sa petite voix vient de loin, loin derrière les épaisseurs de tissus:

- Oui, moi.

Elle échappe le tout, me regarde. Elle a grandi pendant les vacances. Je m'accroupis quand même :

- Qu'est-ce qui ne va pas?

Son petit menton tremble:

- Pourquoi est-ce que Mme Lancy ne mange plus avec moi?

Alors, je me rappelle. Mme Lancy et les perroquets des mers font une pause d'une durée indéterminée et la petite doit retourner manger avec tous les autres dans le brouhaha du service de garde. Pour être intégrée et comme les autres. Même si.

La petite poursuit:

- Je suis triste comme quand papa m'a emmenée en Ski-Doo et que j'ai eu très peur.

Petite fée.

- Viens, je vais t'aider. On y va ensemble, tu veux? Toutes les deux.

Je prends l'ensemble salopettes-manteau-foulard-tuque-mitaines, lui laisse la boite à diner. Elle a une main de libre qu'elle glisse dans la mienne. Son espoir est si grand:

- Et tu vas diner avec moi?

Je serre sa main un peu plus fort.

12h00: Le dîner bat son plein lorsque nous nous installons, mes collègues et moi, dans le repaire des perroquets des mers.

Sans Mme Lancy, le chevalier au nom beau comme un soleil, le petit qui colore en parlant doucement et ma petite fée différente, le repaire est vide, vide de fantaisie.

Par chance, leurs perroquets posent toujours fièrement sur la porte derrière laquelle nous dissimulons notre chagrin.

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