Miroir, miroir

La cloche du dîner a sonné et les souris de première année sont parties manger sauf ma petite fée. On est là toutes les deux dans le couloir pendant qu'elle pleure en s'agrippant à mon chemisier jadis blanc. On vient de faire de la gouache et nous partions laver nos mains lorsque, dans un énième saut de biche, elle est tombée.

J'entraîne ma minie vers la salle de bain des petits. On s'arrête devant le miroir, lequel est trop bas pour nous renvoyer le reflet de nos deux visages réunis; seul celui de ma fée est là, tout barbouillé de tristesse et de peinture colorée agencée à celle qui décore mon chemisier.

La peine a fait place à des hoquets. La petite tourne le robinet pendant que je me penche pour rouler ses manches en espérant sauver un peu de tissu. On frotte ses mains longtemps sous l'eau chaude et le savon répand sa mousse tout autour de nous. La petite sourit.

Soudain, pourtant, elle empoigne mes cheveux à deux mains en tirant brusquement vers le bas. Je me retrouve à genoux sur le carrelage inondé de la salle de bain. J'ai une voix de petite fille lorsque je la gronde:

- Tu ne peux pas tirer mes cheveux.

- Oui, je peux.

- Non. Ça fait mal!

Ma minie me fixe longuement. Toutes les émotions passent sur son visage. Celui-ci se décrispe lentement et elle finit par flatter mes cheveux jadis droits avec ses paumes humides.

Je me recule doucement:

- Il ne faut pas mouiller mes cheveux, ma chouette.

Elle se renfrogne, embêtée par mes règlements:

- Pourquoi?

- Parce qu'ils vont friser.

Une étoile passe. La petite se tourne de nouveau vers le lavabo et mouille encore plus ses mains, puis elle touche délicatement ses cheveux en fixant son reflet dans la glace.

Cette fois, nos visages sont à la même hauteur et elle me demande, le plus sérieusement du monde:

- Est-ce que je frise, moi, comme ça?

Je suis toujours à genoux, toujours tachée et mouillée de surcroît, mais, dans le miroir, je souris à ma petite fée qui reste là, dans sa bulle, à imaginer ses boucles danser. ⭐️❤