Zachée qui te hante

On parle de Pâques avec mes cocos de troisième année. J'essaie fort de tisser des liens et d'utiliser de bons mots, de faire preuve de nuances. En fin de période, on discute de ce qui a changé dans les célébrations entourant cette fête religieuse. Ma Germaine Lauzon, toujours au bord de l'exaspération, est prête:

- Ben, c'est pas ben ben compliqué, Mme Marie-Andrée!

Elle est en forme. J'ai presque peur:

- Explique-nous.

C'est parti:

- Avant, ils tuaient TOUT LE MONDE sur des croix à Pâques, tellement que MÊME Jésus y a passé, pis, maintenant, ben on se raconte cette histoire en mangeant des chocolats parce que, tsé, c'est peut-être même pas vrai, mais c'est important d'y croire.

Et moi qui avais l'impression d'avoir bien enseigné la chose.

*

En première année, on en a plein nos bottines avec l'aventure de Zachée. Je m'arrête en plein milieu de la lecture de l'histoire de sa rencontre avec Jésus. Les enfants n'y comprennent rien et je m'ennuie:

- On va chanter une chanson!

L'annonce les saisit, mais pas autant qu'elle surprend le nouveau technicien un peu sombre et sérieux venu encadrer ma petite fée pour la période.

Qu'importe, je poursuis sur ma lancée. Me voilà debout à leur chanter ce dont je me souviens de ma première année et à faire des gestes pour imager les paroles.

- Répétez après moi!

La bouche du technicien ne ferme plus.

Devant ses yeux, Zachée descend de son arbre et prépare une table pour Jésus qui vient manger avec lui. Et on est là, les 16 petits et moi, à faire les gestes comme si notre vie en dépendait pendant que ma petite fée nous offre sa version opéra de l'aventure.

Lors de l'énième reprise de la chanson, le technicien chante presque avec nous et je crains qu'il ne me parle plus jamais.

Un peu plus tard dans la semaine, pourtant, il me rattrape dans le couloir:

- C'est Marie-Andrée, ton nom?

Mon non-verbal lui répond que oui.

- Ta chanson me hante. Je regardais un film violent, hier, et tu es apparue. Tu chantais Zachée avec tes gestes. C'est intense.

Et moi qui croyais ne traumatiser que les enfants.

Un ange passe.

- Bien, bonne soirée. - Oui, bonne soirée.