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Photo du rédacteurMarie-Andrée Arsenault

L'eau et la mort, les rives et le deuil

Je ne souhaite pas travailler la mort à proprement dit dans mon projet de thèse. Je me dois toutefois de relever les éléments ou thèmes récurrents dans les oeuvres mettant en scène des rives. La mort en fait partie.


C'est en poursuivant ma lecture des Lieux de Marguerite Duras (Duras et Porte, 1977 et 2012) que j'ai fait ce constat. Duras parle de la mort d'Anne-Marie Stretter dans India Song : «Elle rejoint comme une mer... elle rejoint la mer indienne, comme une sorte de mer matricielle» (p. 78). À ce point, l'image de la mort tout aussi tragique de Virginia Woolf m'est venue en tête, ouvrant un passage pour ma réflexion.


Dans de nombreux textes littéraires, l'eau est associée à la mort et parfois au suicide, bref à des pertes souvent difficiles à accepter, à intérioriser, les corps n'étant pas toujours retrouvés. L'eau, dans ce contexte, se présente comme une entité pouvant nous arracher les êtres nous étant chers. La rive devient cette frontière nous séparant de ceux que la nature a emportés, une limite nous confrontant à une force plus grande que soi.


À cette étape de ma réflexion, je ne consignerai ici que les observations faites jusqu'à présent. J'y reviendrai lorsque les liens me paraitront plus clairs et qu'il me sera possible de les approfondir.


Plusieurs romans de mon corpus mettent en scène des disparitions en mer, qu'elles soient volontaires ou accidentelles. Dans Les falaises (DeChamplain, 2019) et Pas même le bruit d'un fleuve (Dorion, 2020), il est question de suicide (d'une mère, d'un amant). Dans Le corps des bêtes (Wilhelmy, 2017) et Le fleuve (Drapeau, 2015), il est question de moments d'inattention et d'accidents, les victimes ne sachant pas nager.


Beaucoup de drames sont liés aux forces de la nature. C'est un reportage radio entendu aux Iles-de-la-Madeleine à l'été 2013 qui a fait germer l'idée de mon premier roman pour enfants, Les souvenirs du sable (2014). On y parlait d'une certaine fatalité chez les insulaires, comme si les drames en mer à répétition les avaient amenés à croire que la nature était maitresse de leur destinée. De même, presque tous les phares de l'archipel sont connus pour les histoires malheureuses y étant rattachées (folie, accidents liés au mauvais usage d'un canon, noyade, etc.).


L'eau et les rives ne peuvent pas être uniquement associées à la perte. Pour moi, elles sont avant tout liées à un thème que l'on pourrait opposer à la mort, soit au jeu et à l'enfance. À la cueillette de bord de mer, à tous les trésors trouvés sur la plage et aux châteaux dont on la décore. Je note qu'il serait bon de relire Jours de sable (2002), essai dans lequel Hélène Dorion évoque justement son enfance au bord de l'eau. Duras (1978 et 2012) fait aussi cette association : «Et c'est après coup que j'ai compris que c'étaient des lieux, non seulement marins mais relevant d'une mer du Nord, de cette mer qui est la mer de mon enfance aussi, des mers... illimitées» (p. 84).


Ce caractère «sans limite» des étendues d'eau m'intéresse beaucoup, car il constitue pour moi un point pivot entre la force illimitée de cette eau pouvant prendre le dessus sur la vie, mais aussi les possibilités (de rêve, de voyage, d'espoir) auxquelles de telles étendues nous ouvrent.


Chez Duras, les rives sont espace de déambulation et de mouvement, bref pas uniquement des lieux d'immobilité comme on pourrait le croire lorsque l'on évoque la mort. Ses personnages sont en quelque sorte influencés par le mouvement de l'espace dans lequel ils évoluent : «Oui, ils sont du côté de la mer, ils marchent ou avancent avec la mer. Leurs mouvements sont des mouvements de marées» (p. 86). Ce mouvement constant est-il opposé, par exemple, à l'enracinement propre aux personnages mis en scène dans des jardins? Quel rapport alors les personnages des rives de Duras entretiennent-ils avec le fait d'habiter un lieu? «C'est l'annulation totale de l'habitat. Ils n'habitent pas.» (p. 84).


Dans mon projet de création, vais-je opposer déambuler et habiter au même titre que les rives et les jardins (je ne crois qu'ils seront à ce point opposés)? Sera-t-il important de développer le concept d'ancrage au sens de possibilité de s'enraciner, même de façon éphémère, dans divers lieux comme le font les voyageurs qui jettent et lèvent l'ancre au fil de leur traversée? En quoi les lieux du phare ou de l'ile seront-ils propices ou féconds pour le développement de telles relations?


C'est dans la tension que je souhaite envisager les rives et les jardins. Entre mouvement et immobilité, enfance et mort, ancrage et racines. Les termes restent à préciser, mais il y a là un terrain fertile dans lequel creuser.




DeChamplain, Virginie. (2020). Les falaises, La Peuplade.


Dorion, Hélène. (2020). Pas même le bruit d'un fleuve, Alto.


Dorion, Hélène. (2002). Jours de sable, Leméac.


Drapeau, Sylvie. (2015). Le fleuve, Leméac.


Duras, Marguerite et Michelle Porte. (2012, 1978). Les lieux de Marguerite Duras, Minuit.


Wilhelmy, Audrée. (2017). Le corps des bêtes, Leméac.


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