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Photo du rédacteurMarie-Andrée Arsenault

Voyage, naufrage, ancrage

Dernière mise à jour : 28 nov. 2020

Un concept «phare» pour mon projet : l'ancrage?



En séminaire de doctorat, nous devons faire l'exercice de travailler un concept en particulier en lien (ou non) avec notre projet de thèse. Pour ma part, j'ai envie de fouiller le concept (si c'en est un) de l'ancrage. Celui-ci me semble tout particulièrement intéressant à exploiter dès à présent tant pour son sens propre que pour son sens figuré. Petit tour d'horizon.


Dans la majorité des livres du corpus que j'ai établi jusqu'à présent, on retrouve la notion d'ancrage. Celles de voyage et de naufrage s'y trouvent aussi, à leur façon, et, selon moi, elles sont toujours mises en relation ou en tension avec l'ancrage. La réflexion que je laisse se déposer ici est purement intuitive, et il me faudra bien entendu l'appuyer sur la théorie, mais je la laisse malgré tout se déployer pour voir ce qui en émerge.


C'est en poursuivant ma lecture de Tisser des voix (2019) de Rachel Bouvet que l'idée a commencé à faire son chemin. L'auteure y parle de «marées intérieures», expression qui m'a semblé tout à fait adaptée aux remous vécus par plusieurs personnages de mon corpus. En ouvrant la porte à cette métaphore maritime intérieure, j'ai laissé la place à bon nombre de déclinaisons de celles-ci : les voyages intérieurs, les naufrages intérieurs et les ancrages au sens de fondement ou d'enracinement, ce qui, pour moi, se rapproche beaucoup de l'habiter.


En quoi la notion d'ancrage traverse-t-elle les textes littéraires qui m'intéressent? Dans Les falaises (DeChamplain, 2019) et Pas même le bruit d'un fleuve (Dorion, 2020), les personnages principaux partent à la recherche de l'histoire de leur mère disparue. L'ancrage est ici d'ordre filial. Dans la tourmente, c'est en plongeant dans les écrits des femmes de leur lignée que les protagonistes cherchent à mieux comprendre leurs origines et à déterminer quelle est la voie (tiens donc, la voie/voix, encore) à suivre. Dans ces deux oeuvres très similaires, les mères disparues ont dû lutter contre des naufrages intérieurs immenses (deuils, dépressions). Le personnage de Pas même le bruit d'un fleuve remontera quant à elle dans l'histoire jusqu'au naufrage réel (celui de L'Empress of Ireland) ayant marqué à jamais le destin des femmes de sa lignée. Enfin, ces deux récits sont habités par la présence du fleuve qui y est représenté comme une force ou une puissance apte à emporter les êtres chers, comme un symbole de perte, de deuil.


Dans Le jardin sablier (Plomer, 2007) et Les villes de papier (Fortier, 2019), la notion d'ancrage est bien différente, puisqu'elle se rapproche cette fois beaucoup plus de l'habiter. Les protagonistes trouvent pour leur part leurs ancrages dans les carrés de terre que constituent leurs jardins, enclos de verdure et de rêve à l'abri du monde. Ici, ancrages et racines s'avoisinent et l'un et l'autre s'alimentent et se solidifient dans une pratique bien réelle, tangible : dans le jardin à proprement dit pour le personnage du Jardin sablier et dans l'herbier de celle des Villes de papier.


Plus important encore, dans les quatre titres dont il est question ici, l'ancrage est aussi associé à la pratique du texte. C'est avant tout par la lecture des journaux intimes laissés par leur mère et leur grand-mère que les narratrices des Falaises et de Pas même le bruit d'un fleuve reprennent contact avec leur histoire, comme si les écrits des femmes les ayant précédées reconstituaient peu à peu le tracé de leurs racines. Dans Le jardin sablier et Les villes de papier, les jeunes femmes sont elles-mêmes investies dans la pratique de l'écriture. C'est par la tenue de son journal de jardin que le personnage du Jardin sablier donne un sens réel à cet espace qu'elle habite et qui l'habite au fil des douze mois de son année d'écriture. Quant à Emily Dickinson, c'est en observant son jardin changer qu'elle rédige son oeuvre poétique dans Les villes de papier. Son rapport à l'écriture, par petits fragments de papier précieusement conservés, s'apparente aussi beaucoup à celui qu'elle entretient avec l'herbier qu'elle compose. Bref, c'est par la pratique textuelle que les protagonistes s'ancrent littéralement dans le monde. Comme si les textes, lus ou écrits, devenaient à leur manière des espaces à partir desquels il serait possible d'être et de retrouver un sens, bref des lieux à habiter.


Je retourne à mes carnets de papier pour voir comment, dans mon projet de création, l'écriture pourra elle aussi devenir un espace dans lequel s'ancrer pour apprivoiser tant les naufrages que les prochains voyages. Si le récit prend place dans un phare comme prévu, l'aventure promet d'être riche de sens.


DeChamplain, Virginie. (2019). Les falaises, La peuplade.

Dorion, Hélène. (2020). Pas même le bruit d'un fleuve, Alto.

Fortier, Dominique. (2018). Les villes de papier, Alto.

Plomer, Michèle. (2007). Le jardin sablier, Marchand de feuilles.



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